La chaux - 2

Suite de l’article paru dans La Grenouille n°10
Après nous avoir fait découvrir les différentes sortes de chaux et décrit les différents mélanges et composants, Axel Fontaine développe, dans cette deuxième partie, des applications pratiques.

1 - LES MÉLANGES ET LES COMPOSANTS - La chaux pâteuse : 
de la chaux seule (aérienne ou hydraulique) sans sable mélangée uniquement à de l’eau en faible quantité devient une pâte que l’on peut étaler avec une large palette que l’on appelle un platoir. L’aspect peut être lisse et servir à de la décoration. S’il y a plus d’eau (moitié/moitié par exemple) on obtient un badigeon ou un lait de chaux que l’on peut étaler à la brosse. C’était souvent la méthode employée pour assainir les étables. De la chaux mélangée à des agrégats prend le nom de mortier (de la "colle", dans le jargon des maçons). Les agrégats sont des désagrégations de roche ou des matières minérales comme les sables. Il y a principalement deux sortes de sable : le sable de carrière non lavé avec des impuretés contenant principalement de l’argile. Pour le sable de rivière qui, lui, est lavé, il ne reste que le grain de sable donc de la silice. Il existe aussi des sables silico-calcaires. Si dans le mélange il y a trop de chaux il y a un risque de fissuration ou faïençage. C’est pourquoi il n’est pas utile de surdoser pensant que le liant tiendra mieux. D’un autre coté, si il n’y a pas assez de chaux, il y a un risque de pulvérulence. À titre personnel, je “sous-dose” les préconisations du fabricant. Outre les agrégats, il y a les adjuvants qui sont des apports modifiant principalement l’hygrométrie du mortier : ils modifient les caractéristiques du mortier. À titre d’exemple, la colle à papier conserve une bonne hygrométrie du mortier, elle empêche par exemple la dessiccation du mortier une fois celui-ci préparé. Le savon, de son côté qui en tant qu’adjuvant est un agent mouillant, permet de rendre plus homogène les mélanges, notamment les pigments. L’eau est meilleure si elle provient d’un sol calcaire. Coloration possible surtout pour les badigeons avec des pigments. 

2 - CHACUN A SA MÉTHODE POUR MÉLANGER LES LIANTS :
personnellement je procède de la façon suivante avec les dosages suivants : pour de la maconnerie : - Travailler avec une hygrométrie constante et faible. - Mouiller le mur au brise-jet comme une vapeur d’eau. Réaliser cette opération pendant trois jours avant de commencer ; l’humidité ainsi émise sur le mur sera en osmose avec le mortier humide et l’accroche se fera mieux. 
  • à la bétonnière : 2 seaux d’eau, l’équivalent d’une brouette de sable soit de 12 à 15 pelletées suivant la taille de la pelle, 1/2 sac (17,5 kg) de chaux hydraulique naturelle (NHL 3,5 ou NHL 2) et 1/2 sac (12,5 kg) de chaux aérienne. Ajouter éventuellement de l’eau pour rendre le mélange onctueux et homogène, puis à nouveau l’équivalent d’une brouette de sable. C’est en ajoutant cette dernière brouette de sable que je dose au mieux l’eau qui manque. Comme sable, j’utilise du falun, c’est à dire du sable de carrière. L'intérêt et la particularité de ce sable est que, quoique tamisé, il a une granulométrie assez variée et n’étant pas “lavé” comme le sable de rivière où il ne reste que le grain de silice, il contient d’autres éléments colorés (argile, sédiments) ce qui fait qu’il est naturellement teinté. (Nous verrons ultérieurement l'intérêt d’être chargé en argile dans le cas où le liant ne comporte pas de NHL mais uniquement de la chaux aérienne). Toutes les maçonneries et enduits pour la restauration du château de Chémery ont été effectuées avec du falun et de la chaux aérienne. 
  • à la main : C’est la méthode la moins fatigante physiquement - Une brouette de sable qui se déverse comme un cône et dont j’aplanis le sommet pour avoir un cercle d’environ 1,20 m. de diamètre, 1/2 sac (17,5 kg) de chaux hydraulique naturelle (NHL 3,5 ou NHL 2), 1/2 sac (12,5 kg) de chaux aérienne et une deuxième brouette de sable également aplanie. Avec ce tas, je fais un autre tas avec une pelle en prenant bien soin de la retourner. Je retourne ce tas 4 fois et non 3 comme le font certains. Le mélange ainsi obtenu est homogène. Après je fais un cratère dans lequel je verse deux ou trois seaux d’eau. C’est à ce stade que le mélange est le plus pénible car il faudrait à nouveau remuer le tas 3 fois. Pour éviter cela, je laisse en l’état une nuit. C’est une des propriétés qu’ont les chaux aérienne et hydrauliques que de ne pas prendre tout de suite. Par capillarité, l’eau remonte dans le mélange sec. C’est à ce moment que je retourne deux fois aisément. Le fait de le charger dans la brouette équivaut à une troisième fois, ce qui est suffisant. 

3 - POUR LES ENDUITS : 
je procède de la même façon que pour la maçonnerie mais je n’utilise que de la chaux aérienne. Le dosage est un peu différent : La meilleure quantité de sable pour un sac de 25 kg de chaux aérienne est 75 litres de sable (une brouette un quart) que l’on peut convertir en pelletées (15 à 18)
à la bétonnière : 2 seaux d’eau, la moitié de sable, le sac de chaux, le reste du sable. Ajouter un peu d’eau si le mélange n’est pas assez onctueux. La prise des enduits à la chaux grasse ne se faisant qu’à l’air, les couches doivent être fines. C’est pourquoi je préconise 4 couches au lieu des 3 habituelles. L’épaisseur maximum d’une couche ne doit pas être supérieure à 2,5 fois le diamètre du grain de sable. La granulométrie du falun étant supérieure à celle d’un sable normal, on obtient des couches de l’ordre de 5 mm. Après, pour la projeter sur le support, c’est le métier qui rentre : dressée à la règle, talochée, grattée, brossée ou lissée. La couche finale lorsqu’elle est lissée est le support idéal pour la fresque. Notons que les dosages en chaux peuvent légèrement diminuer à chaque couche.

4 - LA CHAUX PEUT ÉGALEMENT S’UTILISER LIQUIDE pour réaliser des joints coulés (également pour la décoration). Par exemple, vous avez deux pierres de taille que vous voulez sceller quasiment bord à bord et/ou l’une sur l’autre pour avoir un joint de très faible épaisseur. Dans ce cas, même le sable très fin (le sablon) a une granulométrie trop importante et ne peut pénétrer dans le joint. De plus il aurait du mal à se répandre horizontalement. On pose donc ces pierres dans leur position finale (avec la règle, le fil à plomb, le niveau) avec un joint de l’ordre du millimètre. Le calage peut se faire avec une ardoise fine ou un coin en bois. La pierre une fois calée, je “beurre” les joints avec un mortier ou de la chaux pâteuse. La chaux pâteuse, c’est de la chaux avec uniquement de l’eau. Par exemple : 1 volume de chaux et ½ volume d’eau. J’attends que la prise se fasse et ensuite, par le joint du haut, je coule ce qu’on appelle une barbotine : 1 volume de chaux et 1 volume d’eau. Cette chaux liquide va se répartir dans tous les joints beurrés. Dans les joints beurrés, on peut ménager des petits trous que l’on appelle des lumières, tous les 20 cm. environ. (Dans son livre “Les pierres sauvages”, Fernand Pouillon, appelle cela des “lumières”). Ces lumières permettent de voir la progression de la chaux. Une fois la prise faite, j’enlève les cales et je gratte le joint ou je le brosse avec une brosse de chiendent (pas de brosse métallique). La barbotine et la pâte peuvent être teintées de la couleur de la pierre. Teinter la barbotine permet de donner un aspect monolithique, voire massif dans l’appareillage. Suivant l’effet recherché, c’est utile dans le cas de sculptures, car on ne voit pas les joints. 


5 - LE MÉLANGE CHAUX ET PLÂTRE : Pour la restauration d’un escalier en tuffeau aux marches très usées, j’ai testé un mélange empirique qui donne de bons résultats tant mécaniques qu’esthétiques. La restauration de cet escalier circulaire avec un fût central aurait été trop onéreuse puisqu’il fallait le changer entièrement et je ne voulais pas d’un escalier neuf, mais conserver un escalier “dans son jus” d’un bel aspect (voir photos). J’ai donc mélangé à sec du sable (falun), du sablon (sable très fin), de la chaux grasse et du plâtre (le plâtre est issu du gypse). Soit : 3 vol. de sable, 1 vol. de sablon, 1 vol. de chaux grasse et 1 vol. de plâtre. Comme chacun sait, le plâtre a une prise rapide : soit la chaux retarde la prise du plâtre, soit le plâtre accélère la prise de la chaux. Il ne faut pas faire un gros mélange. Mon unité de mesure était le litre. Ce mélange, donc 6 litres, tient dans une augette. Après, j’ai ajouté de l’eau pour avoir un mélange onctueux. J’ai surtout beaucoup humidifié le tuffeau qui est poreux. Lorsque le rattrapage des marches nécessitait une certaine épaisseur, j’ai ajouté des morceaux de briques détrempées qui ont donné du corps à l’ensemble et ainsi évité les fissures. Alors que pour un enduit uniquement à base de chaux, on peut attendre 1, 2 voire 3 jours pour qu’il “tire”, dans un mélange chaux/plâtre, la finition doit se faire dans la foulée. Cela prend donc du temps et dans le cas cité, j’ai procédé marche par marche. Ce mélange présente le même aspect, la même dureté et la même densité que le tuffeau : c’est une restauration invisible. Suivant les couleurs du tuffeau ou du sable, on peut ajouter dans l’eau de mélange un dé à coudre maximum d’oxyde de fer. 

Maintenant, à vos pelle et brouette et bon courage… Je reste à votre disposition pour tous renseignements et conseils si besoin ! 

Axel Fontaine - La Grenouille n°11 - Avril 2011

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