Les tirants et le patrimoine
local
Vous avez sans doute souvent remarqué ces croix métalliques en applique sur les façades de certains édifices anciens et qui font partie du paysage, mais qu’on rencontre aussi sur des constructions plus récentes.
Il s’agit de la partie visible d’un
dispositif qui permet de consolider une construction présentant des signes de
fragilité, voire risquant un écroulement total ou partiel, en raison de pathologies
liées à la structure du bâtiment ou/ et aux mouvements du sol de fondation.
Mais il peut également être intégré dès l’origine de la construction. Dans l’architecture
gothique, les tirants métalliques participaient à l’équilibre complexe des
poussées de charpente dans les maçonneries, au même titre que les arcs-boutants.
Un peu de technique
Le tirant
D’une manière générale, le tirant
est une pièce métallique qui travaille en traction, et retient des éléments
solidaires de ses extrémités.
• En maçonnerie (1), c’est la pièce horizontale d’un ancrage : une forte tige ou un
long fer plat placé entre deux murs, ou entre un mur et une pièce de charpente.
On parle de tirants d’enserrement : « barres en aciers mises en place dans des forages débouchant de
part et d’autre de l’ouvrage ».
• En terrassement ou
en génie civil, le tirant d’ancrage est noyé dans
le sol pour retenir un ouvrage comme par exemple un mur de soutènement ou un
blindage provisoire. On parle alors de tirants d’ancrage passifs. Pour mémoire,
citons également les tirants précontraints pour des ouvrages plus conséquents. Pour
des tirants de grande longueur (ou lorsque la configuration de la construction impose
d’assembler plusieurs éléments), on peut assembler deux éléments par soudure, par
des pièces boulonnées, ou par des manchons vissés ou des tendeurs (ou ridoirs),
qui permettent par ailleurs de mettre en tension le tirant.
• En charpente, le tirant est une pièce métallique « qui remplace l’entrait pour retenir les arbalétriers
d’une ferme ». Citons également le cas des
tirants de cheminée, nombreux sur les toits de nos villages, qui sont là pour
reprendre les effets du vent : ces pièces métalliques ont alors une fonction de
« tirant-buton », car elles peuvent travailler en traction ou en compression.
La loge des Ruaux à Cheverny, avant et après la pose de tirants lors de sa restauration en 2018.
Citons également le cas des tirants de cheminée, nombreux sur les toits de nos villages, qui sont là pour reprendre les effets du vent : ces pièces métalliques ont alors une fonction de « tirant-buton », car elles peuvent travailler en traction ou en compression.
L’ancre (ou ancre de
chaînage)
Les ancres sont des pièces
métalliques qui, une fois passées à travers l’œil ou la boucle de l’extrémité
du tirant, empêchent le déplacement de la maçonnerie. Le terme technique est «
plaque d’ancrage » ; ce peut être un simple élément droit métallique ou en
croix (de type UPN), comme on en rencontre sur des parties peu visibles, par
exemple sur des ponts en maçonnerie. Sur les bâtiments d’habitation ou sur les
monuments, et dans un souci d’esthétisme, on utilise depuis très longtemps des
« clés de tirants » ou « croix de chaînage architecturales » souvent issues d’un
travail de ferronnerie. Précisons également que l’ancre doit avoir une taille
suffisante pour s’appuyer sur plusieurs rangs de moellons, afin de garantir la
solidité du dispositif.
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Les ancres de chaînage sur la mairie de Cheverny |
Les tirants au secours d’une
maison fissurée
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Tirants d'enserrement |
Sur nos communes, depuis
plusieurs années, plus de 200 maisons ont subi de gros dégâts dus aux
mouvements des sols argileux (2), sous l’effet des périodes d’inondation et/ou de sécheresse
et provoquant des fissures importantes et inquiétantes. La Grenouille a rencontré les propriétaires d’une de ces maisons qui
ont récemment entrepris de consolider leur habitation en faisant procéder à la
pose de 4 tirants par une entreprise spécialisée.
Une opération délicate…
L’opération ne présente pas de
difficulté particulière pour une grange, mais s’avère beaucoup plus délicate
pour une habitation… Le travail est relativement simple dans son principe mais
plus compliqué dans sa mise en œuvre selon la nature du bâtiment à traiter… En
effet, derrière les croix apparentes à l’extérieur, se cachent les tirants, qu’on
essaie, autant que possible, de masquer en passant par exemple dans les faux
plafonds, le long des poutres ou à l’intérieur des cloisons et doublages… Il
faut donc procéder à quelques aménagements intérieurs…
Les propriétaires témoignent
:
« Il a d’abord fallu
percer les murs et les cloisons, ce qui a constitué une tâche compliquée en
certains endroits car les murs allaient jusqu’à 95 cm d’épaisseur, la maison
datant des années 1890 ; les tirants ont ensuite été enfilés par l’intérieur ou
l’extérieur selon la configuration des lieux. La longueur de certains (plus de
8 m pour les tirants longitudinaux) a nécessité de les mettre en place à partir
de la rue et leur poids (plus de 80 kg) a rendu la manœuvre délicate… La pose et le maintien des
tirants, la fixation des croix (et le serrage des écrous sur une tige filetée
de 25 mm…) ont permis de finaliser l’opération de consolidation, mais il a ensuite
fallu agrafer les fissures provoquées par le mouvement des fondations en
intérieur et en extérieur, reprendre localement les enduits et revêtements, et
réparer les "dégâts" intérieurs causés par les travaux, refaire par endroits
les faux plafonds, les plâtres, les peintures et procéder au
nettoyage/dépoussiérage de la maison malgré tout le soin apporté par les opérateurs
pour réaliser ces travaux ».
Mais comme nous l’ont déclaré les
propriétaires « une fois le travail
terminé, on dort mieux car on se sent enfin en sécurité, dans une maison moins
fragile car renforcée efficacement… Nous n’avons plus peur qu’elle tombe sur la
route… avec ses habitants ».
Une décision difficile à
prendre...
L. P. : « Nous avions un problème de conscience. La reconnaissance de ces sinistres
en catastrophe naturelle n’ayant toujours pas été établie par la commission
interministérielle pour notre commune (3), mais les dégâts s’intensifiant
d’année en année voire de mois en mois, il fallait prendre une
"chère" décision…, en sachant que si nous entreprenions ces travaux,
il serait fort probable que le coût serait entièrement à notre charge, quoiqu’il
se passe par la suite. Nous dormions moins bien, pensions sans arrêt au
problème, repoussions les invitations à héberger et tendions le dos quand les
enfants ou les amis étaient présents ».
L’entrepreneur a bien briefé les
propriétaires : les tirants ne remplacent pas les injections de résine dans les
fondations, et s’ils permettent de maintenir la maison debout, ils n’empêchent pas
l’apparition d’éventuelles nouvelles fissures, comme dans toutes les vieilles maisons.
Mais au moins, les occupants ne sont plus en danger dans leur maison, et c’est l’essentiel.
L. P. : « L’injection de résine en fondation était une
autre solution, plus coûteuse et que nous estimions plus bouleversante pour l’environnement
extérieur et intérieur (notamment au niveau des sols) de la maison et pour
nous, et aurait demandé une durée de travaux beaucoup plus longue ».
Consolidation de la maison,
et de l’amitié…
L. P. : « Il n’a pas été toujours simple (pour nous,
mais aussi pour les chats…) de rester vivre dans la maison pendant les travaux…
Durant plusieurs semaines, il nous a fallu nous contenter du minimum, sans le
poêle à bois et avec une circulation limitée entre les meubles bâchés et les
gravats.... Merci aux amis qui nous ont provisoirement hébergés durant la
journée le temps d’une petite sieste sur leur canapé, ou pour partager un bon
repas. Le bon côté de cette "aventure" : des amitiés consolidées…».
P.L.
(1) Ouvrage composé de matériaux (pierres de
taille, moellons, briques, etc.) unis par un liant (mortier, plâtre, ciment,
etc.) – (Larousse), ou de pierres sèches, sans liant.
(2) Les argiles ont un comportement variable selon
leur teneur en eau : leur volume augmente lorsqu’elles s’humidifient (gonflement)
et diminue lorsqu’elles s’assèchent (retrait).
(3) Rappelons à ce sujet l’action du Collectif des
maisons fissurées, créé localement pour défendre les intérêts des propriétaires
de ces maisons sinistrées – La Grenouille n°38 - Janvier 2018.
Bibliographie • Principes d’analyse
scientifique, ministère des Affaires culturelles, Imprimerie nationale –1972 –
BnF.
• Dictionnaire raisonné de
l’architecture française du XIe au XVIe siècle, par Eugène Viollet-le-Duc, 1854-1868 / Wikisource.
• Guide de la
réhabilitation avec l’acier à l’usage des architectes et des ingénieurs -
Pierre Engel - CTICM Editeur – 2010 – BnF. • Charpenterie métallique -
Menuiserie en fer & Serrurerie, vol. 1 de l’Encyclopédie des travaux
publics. J. Denfer - Gauthier-Villars, Paris, 1894 – BnF.
• A.-C. d’Aviler :
Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique et des arts qui en dépendent.
C.- A. Jombert (Paris), 1755.
• Art du serrurier. Par
Duhamel du Monceau - Saillan et Nyon-Desaint - Paris 1767 - BnF. CCTP type de
DCE de réparation ou de renforcement des ouvrages en maçonnerie - version 1.1
du 19 juin 2008 : www.piles.setra. equipement.gouv.fr
Tirants
La Grenouille n°50 – Janvier 2021
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